Les nouveaux programmes : journée de (dé)formation
Dans son blog https://venividilusi.wordpress.com , Alice nous fait part de sa journée de formatage. D’un seul trait, écrit avec rage, son compte rendu est encore une fois éclairant sur l’obscurantisme des pédagogols.
Au moment où cet article est publié, un débat sur la réforme du collège a lieu à Maubeuge, dans le département du Nord, lors de la Nuit Debout.
Et merci de visiter son blog.
Cet article a été rédigé le lendemain d’une journée de formation sur les nouveaux programmes de Lettres. Pour les besoins du texte, les noms des IPR présents ont été changés, ainsi que le nom du lycée où a eu lieu la formation. Les citations contenues dans ce texte sont toutes authentiques, parfois reconstituées, mais toutes notées sur le vif, aussi vite que ma main me l’a permis. Je vous avoue avoir regretté de ne pas avoir apporté de dictaphone ou de caméra, et je sais n’être pas la seule.
[Cet article fait 5 pages Word, cela m’a pris environ cinq heures pour le rédiger. Je ne l’ai pas relu, car revivre en pensée la journée que j’ai subie m’a pris la tête au plus haut point.]
9h du matin, au lycée Poudlard. Un groupe de professeurs de Français attend devant les portes de la salle où va se dérouler une formation sur les nouveaux programmes. La ponctualité ne semble pas être à l’ordre du jour de la part des IPR, étant donné qu’ils n’arriveront qu’à 9h15. Mais bon, passons. Les portes s’ouvrent et nous nous installons confortablement, prêts à recevoir la bonne parole.
Sur l’estrade, M. Fumigène et Mme Moue se présentent, en nous rappelant les dossiers dont ils sont en charge. Puis, pour lancer la journée, Mme Moue nous propose de débattre sur les nouveaux programmes, en nous demandant « Y a-t-il des questions ? Y a-t-il des colères ? ». Ah, tiens donc, des « colères » … comme celles d’un petit enfant à qui on a refusé son joujou ? Passons.
Des programmes thématiques
Premier sujet qui vient sur la table : l’approche thématique des nouveaux programmes, alors que les programmes actuels ont une approche générique (je traduis pour les non-profs de lettres : par genre littéraire). Une collègue demande : « Est-ce qu’on peut continuer à étudier les genres littéraires ? » Mme Moue lui répond : « Oui, mais l’entrée n’est plus générique, mais thématique … ». Je note : nous ne ferons donc pas étudier les genres en tant que tels, mais nous donnerons aux élèves des indications, au détour d’une étude thématique. Pourquoi pas, à la rigueur.
Se pose tout de même une question : Pourquoi ce changement d’approche ? Mme Moue, qui « ne veut pas critiquer les programmes, ils avaient énormément de qualités » (c’est d’ailleurs pour ça qu’on les change), pointe du doigt que nous ne « pouvions pas faire de thématique avec cette approche générique », car, en substance, l’approche par genre, à ses yeux, c’est avant tout de la technique. Ah bon ? Donc dans nos cours, les professeurs se contentaient jusqu’à maintenant de faire apprendre du vocabulaire littéraire et reconnaître une métaphore. Ah … Pas sûre que nous nous soyons tous reconnus dans ce que Mme Moue disait. Mais passons.
Un autre collègue souligne que, tout de même, l’approche par genre et de façon chronologique permet de poser pas mal de repères pour les élèves (en plus de faire des passerelles avec les cours d’histoire … ou l’interdisciplinarité avant l’heure, grosso modo). M. Fumigène nous répond : « Il n’y a pas de disparition des repères, mais un passage à l’arrière-plan, et ce qui passe au premier plan, c’est l’approche esthétique et le questionnement. » De plus, il ajoute : « Vous noterez que les thèmes ont été pensés en fonction de l’évolution psychologique des adolescents et en réponse à leurs besoins. »
OK, Mme Moue, M. Fumigène, je vous l’accorde, pas besoin d’être un expert en littérature pour apprécier un poème de Baudelaire ou une pièce de Molière. Chacun peut formuler une pensée là-dessus, soit. Mais quand j’entends Mme Moue dire : « les repères ne sont pas indispensables pour comprendre la littérature. C’est un peu « pour les grands. Mais je pense qu’il faut quand même le faire. », j’en perds un peu mon latin. Non seulement, vous considérez les collégiens comme des petits (par opposition aux « grands », qui auraient le droit aux fameux repères), mais en plus, vous n’arrivez pas à vous décider : finalement, dans nos cours, on place des repères ou non ?
Durée de vie annoncée des programmes : entre 5 et 10 ans.
La discussion se porte ensuite sur le fait que les programmes changent tous les 5 à 10 ans, et que les anciens programmes avaient, eux aussi, une approche thématique, balayée par l’approche générique des programmes actuels. On a l’impression d’un retour en arrière. Mme Moue nous rassure : « Mais non, ce n’est pas un retour en arrière, ce sont des ajustements » et M. Fumigène d’ajouter : « c’est la recherche permanente d’une meilleure efficacité. Il n’y a pas de vérité absolue en éducation. » Mais tout ça, bien sûr, c’est dit « de [son] point de vue extérieur ». Rien que le mot « extérieur » est un aveu : M. Fumigène est un spectateur de l’enseignement, il observe tout ça de loin (dans la brume …). Et il conclut par : « ces programmes disparaîtront dans 6 ans et ce n’est pas grave ».
A ce stade, je patauge dans la perplexité.
« L’Accompagnement Personnalisé, c’est une question de posture »
Il est environ 10h15 ou 10h30. Et arrive un sujet qui va occuper presque tout le reste de la matinée : l’Accompagnement Personnalisé (ou AP pour les intimes). Sur le papier, il est question de mettre les élèves en groupes, pour les faire travailler sur les points qui leur posent problème. Jusque là, c’est très louable. Mais concrètement, beaucoup de questions restent en suspens : comment constituer les groupes ? quels profs les prennent en charge ? est-ce qu’on mélange les classes ? Ces questions, très concrètes, sont la voie vers un abîme sans fin de verbiage. Pour l’enfumage, M. Fumigène nous régale. C’est cadeau.
Au fil de la discussion, M. Fumigène ne cesse de nous dire que ce que l’on fera en AP, finalement on le fait déjà en cours, quand on fait travailler les élèves sur un point précis du programme, avec des activités complémentaires. Mais alors, c’est quoi, la spécificité de l’AP ? M. Fumigène a la réponse : « L’AP introduit une variation et de la variété dans le déroulé de la semaine. C’est un plus sur le climat scolaire. » Et n’oubliez pas : « L’AP, c’est avant tout une posture, une compréhension mentale », « il faut l’envisager comme une complémentarité, une convergence » avec les autres enseignements que sont les cours et les EPI. Cependant, faites très attention : « personnalisé ne veut pas dire individualisé ! » et « l’AP c’est un temps au plus près de l’élève. »
(Je propose donc d’enseigner aux élèves la posture du Corbeau, pour développer leurs capacités de concentration, ainsi que la posture du Pigeon Royal, pour la souplesse de corps et d’esprit. )
Les choses s’embrouillent … M. Fumigène vient à notre secours : « on va prendre des images pour bien comprendre. L’EPI, c’est une démarche plutôt linéaire, tandis que l’AP, c’est plus circonscrit, c’est plus circulaire. »
Oui … certes … c’est beaucoup plus clair, vous avez raison.
Mais concrètement, on forme des groupes de niveau, pour travailler des points précis ou développer des compétences précises. Non ? Alors, attention, pour commencer, dixit Mme Moue, « il vaut mieux dire groupes de besoins, pas groupes de niveau ». C’est vrai que la différence est subtile. Bon, et ces groupes, ils ont tous cours à la même heure, histoire de faciliter la constitution des EDT ? Mme Moue préconise d’éviter le « barrétage excessif ». « Il ne faut pas mettre l’AP de toutes les classes d’un niveau à la même heure, car ce n’est plus répondre aux besoins des élèves, pédagogiquement, ce n’est pas bon. » Donc … qu’un groupe ait cours à 8h30 et un autre à 14h, c’est pédagogique …
Le temps passe, la discussion s’embourbe et vient une nouvelle question : est-ce que ce sont les mêmes professeurs qui assurent les cours et l’AP ? Apparemment, non, d’ailleurs, changer de prof, ça ne perturbe pas du tout les élèves. Cependant, l’AP doit se faire en lien avec le programme et les cours du moment. Cela signifie qu’il faudrait que les professeurs de Français d’un niveau se mette d’accord sur une progression commune. Mais … et le TZR (le remplaçant pour les non-initiés) qui arrive pour remplacer un collègue, on lui impose une progression ? Oui, Mme Moue le dit : « nous sommes des fonctionnaires, c’est ça aussi travailler en équipe ». Bonjour le respect pour les TZR …Et M. Fumigène d’ajouter, plus tard, à propos de la mutualisation des documents : « on va utiliser un mot qui n’est pas très joli, mais le but est de professionnaliser un peu tout ça ».
Autre point logistique corrélé aux progressions communes : les œuvres étudiées, et la possibilité, pour le CDI, de fournir toutes les classes en livres. Visiblement, faire une progression commune, cela ne veut pas dire étudier des œuvres communes, mais seulement faire les thématiques dans le même ordre. Attendez … si nous avons bien suivi, un professeur qui assure l’AP n’aura pas forcément ses élèves devant lui. Il devra donc s’informer de toutes les œuvres étudiées par les autres collègues, pour ensuite faire sa tambouille et proposer quelque chose de clair aux élèves. Entre deux préparations de séances d’EPI et trois paquets de copies, ça devrait le faire, non ?
Ah oui, mais … les professeurs qui assurent l’AP, justement, ils sont désignés en début d’année, et, généralement, il faut se mettre d’accord sur des points à aborder dans tous les groupes… moi qui croyais que c’était pour répondre aux questions des élèves, je me trompais. A qui revient cette tâche ? Le conseil d’enseignement. Et Mme Moue de dire : « cela fait vivre le conseil d’enseignement, parce que bon, en dehors du choix des manuels, il ne sert pas à grand-chose. »
Je vous cite encore quelques perles au passage (c’est cadeau) :
Mme Moue : « oui, classe entière, ça ne veut pas dire grand-chose, on dit enseignement commun. »
M. Fumigène : « L’AP ne vient pas en plus du cours, mais avec, en complément. » et de dire plus tard « la réforme, vous fait faire des projets, c’est tout, rien de plus ».
Pour conclure le temps sur l’AP, où l’on a toujours rien compris, M. Fumigène dit que « la différence entre l’AP et l’enseignement commun, c’est une question de posture, c’est difficile à expliciter » et qu’« il ne veut pas nous donner de réponse toute faite ». Car, comprenez bien, l’AP, « c’est une philosophie, ce n’est pas une étiquette. » Et Mme Moue d’ajouter qu’il ne faudrait surtout pas « rigidifier » chaque dispositif dans une définition précise, « cela ferait perdre l’âme du système ». Cependant, M. Fumigène, quelques minutes plus tard, nous rappelle que « nommer les choses, c’est essentiel. »
Parlons-en, de cet essentiel qui semble bel et bien être ailleurs ! Car, dit Mme Moue, « il faut comprendre pourquoi on prend les élèves 26h par semaine à l’école » et « quel est le rôle de l’école ». A priori, je répondrais que cela sert à apprendre beaucoup de choses pour devenir un adulte responsable et épanoui intellectuellement, mais il faut croire que je me trompais, car « se faire des amis, c’est aussi à l’école qu’est dévolue cette chose-là. »
Vient la pause, tant attendue, tant espérée. Cher lecteur, je te suggère d’en prendre une aussi.
11h-11h30 : de longues minutes d’incompréhension
Reprise de la formation. Vient la question de la lourdeur des programmes par rapport au nombre d’heures. M. Fumigène nous dit : « Les programmes sont plus légers … en apparence. Il y a moins de prescription. » Car « sur les attentes des programmes, ce n’est ni plus léger, ni plus lourd, c’est ce que vous aurez mis en œuvre. » Soyez rassurés donc !
Et la discussion de se poursuivre sur la grammaire … pardon, « l’étude de la langue ». Un constat simple s’impose : différencier un nom d’un adjectif, différencier un sujet d’un verbe, cela peut se révéler compliqué pour des élèves de 3èmes. Mme Moue nous rassure « oui, bon, mais faut-il poursuivre l’acharnement thérapeutique sur nature et fonction ? La grammaire, c’est très abstrait et les capacités d’abstractions, ça ne vient pas avant 15 ans. » Ah, donc « qui fait quoi ? », c’est très abstrait, et il faut croire que nous sommes nombreux à avoir eu des capacités d’abstraction précoces. Mais « si on n’a pas l’esprit conçu pour », inutile de chercher à faire progresser l’élève. Mme Moue a même ajouté qu’il faudrait s’inspirer des américains, qui cherchent à pousser l’élève à développer ses capacités là où il réussit, plutôt que de chercher à le faire progresser là où il est faible.
Après quelques élucubrations du même tonneau et sur la place essentielle de l’oral dans l’enseignement, mais attention ! « l’oral avec un grand O », vient la pause déjeuner.
Cher lecteur, mon récit de la matinée a été très long, car j’étais plutôt en forme pour recueillir toutes les petites perles et surtout, j’avais assez d’énergie pour préférer rire de ces inepties qu’en pleurer (ou alors, j’en ai carrément pleuré de rire). Le récit de l’après-midi sera plus court, car j’ai été beaucoup moins attentive. Et pour cause : l’après-midi a été pire que la matinée. J’ai préféré préserver ma santé mentale et cesser d’écouter, plutôt que de continuer sur ma lancée.
13h45 : « Un aperçu des programmes, parce que c’est quand même le but de la journée. »
Hé oui, M. Fumigène, l’objet de la formation était les nouveaux programmes, mais jusque-là, nous n’en avons pas vu la couleur. Enfin … un peu, avec des diapos floues (il faut croire que faire une mise au point sur un projecteur, ce n’est pas possible).
Et devant un schéma projeté à l’écran, M. Fumigène a commenté : « Il y a un temps pour l’hébétude quand on découvre les programmes, qui doit faire place au temps de l’appropriation. » Alors, pour l’appropriation, il faut déjà comprendre les mots employés. Et les termes « des entrées littéraires cyclées » semblent peu compris par l’assemblée, mais … « on ne va pas se lancer dans une querelle sémantique. » Ah … qui n’arrête pas de nous reprendre sur les mots employés depuis tout à l’heure ?
Rapidement, la discussion revient sur « l’étude de la langue ». Quelle place lui donner dans les cours, concrètement ? Mme Moue vient nous éclairer : « Ce n’est pas l’étude de la langue, l’objet, c’est la compétence linguistique. Ce ne sont pas les étiquettes, genre COD ou COS qui comptent, c’est la compétence linguistique. Du moment qu’ils sentent qu’il y a un rapport ténu entre le mot et l’adjectif … vous voyez, je dis même pas « nom », parce que ce n’est pas ça l’essentiel. » Décidément, l’essentiel est encore ailleurs. A toujours pointer là où il n’est pas, on va peut-être finir par savoir là où il est !
Pour expliciter un peu tout ça, elle fait une lecture du programme, qui mentionne, dans cette fameuse « compétence linguistique » le fait « d’analyser les propriétés d’un mot » : « Ah ! analyser les propriétés, vous voyez, on n’est pas dans l’étiquetage », « l’idée est de savoir comment un nom s’intègre dans une chaîne syntaxique » (mais s’ils ne savent pas ce qu’est un nom et si ce n’est pas essentiel … cmt valider cette compétence ?? « bah … »).
Bon, on l’aura compris, la grammaire en tant que tel, ce n’est pas « l’essentiel », mais un collègue fait remarquer que cela sert avant tout à produire des textes correctement orthographiés et donc de clarifier sa pensée, y compris pendant une rédaction. Mme Moue mentionne alors une expérience scientifique faite sur des étudiants de 3ème année de Lettres, avec étude du cerveau et du mouvement des yeux quand ils écrivent. Le cerveau et les yeux font une perpétuelle relecture et élaborent le texte au fur et à mesure de l’écriture. Bien, d’accord, où veut-elle en venir ? « Ce sont des étudiants en Lettres, ce ne sont pas des adolescents ! » Donc le cerveau d’un ado n’est pas capable de faire plusieurs choses à la fois quand il écrit un texte, il ne peut pas à la fois penser à ce qu’il dit et comment l’écrire correctement. C’est pourquoi « il est impératif de dissocier le moment de l’étude de la langue et le moment de la production ». Donc, Mme Moue, si je vous suis bien, ce n’est pas à nous de leur apprendre à écrire correctement un écrit qu’ils inventent, ils sauront le faire d’eux-mêmes, du jour au lendemain, quand ils seront étudiants… Dois-je vous parler d’études scientifiques sur les besoins de la répétition dans l’apprentissage ?
Après cette digression sur les études et les experts qui pondent des rapports, nous avons droit à une grande envolée lyrique sur le fait que l’orthographe, « c’est comme un pull sale, ce n’est qu’un pull, ce n’est pas la personne à l’intérieur du pull », que « l’orthographe, ce n’est qu’un outil au service de l’expression de la pensée, donc ce n’est pas si important », qu’enfin « Vous n’êtes pas des profs d’AEF, vous n’êtes pas des profs de DNB. Le DNB et l’AEF ne sont que des protocoles d’évaluation à un moment, mais ce qui compte, c’est que l’élève ait plaisir à écrire. » Mais la satisfaction d’écrire correctement et de savoir s’exprimer précisément, de pouvoir structurer sa pensée de façon efficace, on s’assoit dessus !
Cher lecteur, c’est à partir de là que j’ai décroché. Devant autant de mépris pour les élèves et pour notre travail, devant cette infantilisation à la fois des enseignants et des élèves, devant autant de péroraisons inutiles, j’ai abandonné.
Le programme de l’après-midi était de travailler sur des points du programme, on ne s’y est mis qu’une demi-heure avant la fin de la formation, je pense que vous mesurez l’utilité de cette demi-heure, passée à tenter de répondre à la question « Alors, le Loup et l’Agneau et Le Loup et le Chien, on peut l’utiliser dans quelle thématique et pour quel niveau ? » … Le reste du temps, on nous a appris à lire une diapositive.
Mais … « on ne va pas se lancer dans une querelle sémantique. »